FESTIVAL DE BAYREUTH 2022 : UN RING GARANTI SANS ANNEAU
Chœurs et Orchestre du Festival de Bayreuth Chef des chœurs : Eberhard Friedrich Direction musicale : Cornelius Meister
Mise en scène : Valentin Schwarz Décors : Andrea Cozzi Collaboration aux décors : Stephan Mannteufel Costumes : Andy Besuch Dramaturgie : Konrad Kuhns Eclairages : Reinhard Traub
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25/08/2022
L’OR DU RHIN |
26/08/2022
LA WALKYRIE |
28/08/2022
SIEGFRIED |
30/08/2022
LE CREPUSCULE DES DIEUX |
Wotan Egils Silins Donner Raimund Nolte Froh Attilio Glaser Loge Daniel Kirch Fasolt Jens-Erik AasbøFafner Wilhelm Schwinghammer Alberich Olafur Sigurdarson Mime Arnold Bezuyen Fricka Christa Mayer Freia Elisabeth Teige Erda Okka von der Damerau Woglinde Lea-ann Dunbar Wellgunde Stéphanie Houtzeel Flosshilde Katie Stevenson |
Siegmund Klaus-Florian Vogt Hunding Georg Zeppenfeld Wotan Tomasz Konieczny Sieglinde Lise Davidsen Brünnhilde Iréne Theorin Fricka Christa Mayer Gerhilde Kelly God Ortlinde Brit-Tone Müllertz Waltraute Stephanie Müther Schwertleite Christa Mayer Helmwige Daniela Köhler Siegrune Stéphanie Houtzeel Grimgerde Marie-Henriette Reinhold Rossweisse Katie Stevenson Grane ( !) Igor Schwab |
Siegfried Andreas Schager Mime Arnold Bezuyen Le Voyageur Tomasz Konieczny Alberich Olafur Sigurdarson Fafner Wilhelm Schwinghammer Brünnhilde Daniela Köhler Erda Okka von der Damerau L’Oiseau Alexandra Steiner Hagen jeune ( !) Branko Buchberger Grane ( !!) Igor Shwab |
Siegfried Stephen Gould Gunther Michael Kupfer-Radecky Hagen Albert Dohme Alberich Olafur Sigurdarson Brünnhilde Iréne Theorin Gutrune Elisabeth Teige Waltraute Christa Mayer 1ère Norne Okka von der Damerau 2ème Norne Stephanie Müther 3ème Norne Kelly God Woglinde Lea-ann Dunbar Wellgunde Stéphanie Houtzeel Flosshilde Katie Stevenson Grane ( !) Igor Schwab |
Pas d’anneau dans cette nouvelle production du Ring à Bayreuth. Pas de lance non plus. Pas d’épée Notung plantée dans l’arbre, ni de cor pour Siegfried. Pas davantage de crapaud, d’ours, ou de dragon. Pas d’arc-en-ciel à la fin de l’Or du Rhin, mais en l’absence de Walhalla, ce n’est pas bien grave. Et bien sûr pas de flammes à la fin de la Walkyrie ou du Crépuscule. Nous avions été prévenus par la presse, ce Ring s’écarte de toute référence mythologique et s’inspire des séries américaines qu’on peut voir sur Netflix, qui ont tant de succès actuellement mais que je n’ai guère l’habitude de fréquenter. On peut certes voir le Ring comme une vaste saga familiale à épisodes, répartie sur plusieurs saisons, avec ses enjeux de pouvoir et ses multiples rebondissements. On aurait pu craindre une référence aux aventures de la famille Wagner au cours des générations, heureusement cela nous a été épargné… Bien plus intéressant, le jeune metteur en scène Valentin Schwarz (33 ans), dont je n’avais jamais entendu parler, prend aussi comme fil conducteur de ce Ring la notion d’hérédité, d’héritage, de patrimoine, de transmission. Guy Cherqui dans son excellent site wanderersite.com insiste à juste titre sur ce point. « Mein Erbe nun nehm’ich zu eigen ! » dira Brünnhilde à la fin du Crépuscule…L’idée est sans doute pertinente, la réalisation…à vous de juger.
SAISON 1. Au commencement était le liquide amniotique. C’est ce liquide-là qu’évoque ici le prélude de L’OR DU RHIN, la vidéo nous montre deux cordons ombilicaux, puis deux fœtus qui attendent leur heure. Cette idée n’est pas inédite, à l’automne dernier à la Deutsche Oper de Berlin, dans la mise en scène de Stefan Herheim, apparaissaient à la fin de l’Or du Rhin Siegmund et Sieglinde in utero. Mais ici, c’est d’une autre fratrie qu’il s’agit. L’un des deux fait un geste (intentionnel ?) et pan ! dans l’œil du frérot., qu’il crève ainsi. Le péché originel a été commis, une haine mortelle est née entre les jumeaux, Licht-Alberich et Schwarz-Alberich, ainsi que les nommera le Wanderer dans Siegfried. Le rideau s’ouvre sur un paysage qui évoque l’Ouest Américain, une vaste piscine, ou plutôt vu sa profondeur une vaste pataugeoire, occupe toute la largeur de la scène. Les filles du Rhin gardent des enfants. L’un d’eux, vêtu d’un t-shirt jaune, porteur d’une casquette jaune et noire, se tient à l’écart. Arrive Alberich, blouson de cuir, jeans, bottes, marginal un peu minable, qui me fait irrésistiblement penser à Ribouldingue dans les Pieds Nickelés. Il menace les filles du Rhin d’un pistolet, et il enlève l’enfant au t-shirt jaune : on a compris vu cette couleur, cet enfant c’est l’Or, ou l’Anneau, mais c’est aussi Hagen, la suite le confirmera. Il est normal qu’Alberich veuille récupérer son enfant, sans doute séquestré par le clan Wotan. Une remarque : les Marseillais se souviendront que dans son Ring inachevé, Charles Roubaud avait figuré en 1996 l’Or par un adolescent hermaphrodite. Surprenante coïncidence. Une autre remarque, les personnages, dans l’Or du Rhin et la Walkyrie surtout, n ‘auront de cesse de se menacer les uns les autres avec leurs pistolets, ce qui finira vite par devenir ridicule. Une seule fois un pistolet tirera et tuera, qui ? Vous le saurez plus tard.
Nous voilà chez les Wotan, cette partie de la
famille, mafieuse à l’évidence, a réussi,
Retour à la maison Wotan. Alberich a perdu la partie et s’en va après avoir maudit l’anneau (mais si l’anneau est Hagen, est-ce bien logique ?). Rien de bien particulier à signaler, jusqu’au moment où Tonton Mime emmène avec lui une petite Walkyrie en rose (la petite Brünnhilde sans doute) qui va se réfugier auprès de sa maman. Pas de trésor entassé sur Freia naturellement. Et après la prophétie d’Erda, qui pour s’annoncer laisse tomber au sol le plateau de verres qu’elle portait, voilà donc Fafner, qui après avoir tué Fasolt presque accidentellement (un simple coup de poing au menton, mais Fasolt est projeté en arrière et sa tête heurte violemment le mur du garage, ce qui le tue) part avec le petit Hagen. On peut penser qu’il recevra une solide éducation. Les Dieux contemplent alors avec vénération une petite pyramide lumineuse qui était dans la bibliothèque. Pour susciter l’orage, Donner se saisit d’un club de golf et tape dans une pomme : un putt plus qu’un swing. L’entrée au Walhalla est figurée par la montée de quelques marches vers la mezzanine, où Wotan exécute une danse triomphale assez grotesque.
SAISON 2. Nous voilà chez Hunding au premier acte de LA WALKYRIE. Un logis grisâtre, à peine meublé, mal éclairé : pendant tout l’acte, Hunding s’évertuera à réparer le tableau électrique, sans succès. Côté jardin, un arbre est tombé et a brisé la fenêtre. L’épée Notung sera-t-elle plantée dans cet arbre? Si vous avez compris que l’un des principes de la production est de tromper l’attente du spectateur, vous avez la réponse…Sieglinde est tellement enceinte qu’elle a du mal à marcher. Mais qui est le père ? Siegmund ? On comprendra vite qu’elle ne l’a pas encore rencontré. Hunding ? Manifestement, celui-ci est un employé du clan Wotan, sans doute un simple vigile. Il est donc peu probable qu’il soit le père du futur Siegfried. La réponse viendra plus tard. Toute la suite est traitée scéniquement de façon « classique », mais avec un manque d’intensité, une absence de direction d’acteurs proprement stupéfiants. Visuellement on s’ennuie ferme, heureusement le chant est glorieux. Et ce n’est pas la clé à mollette que brandit Hunding pour menacer Siegmund qui va nous sortir de notre ennui. Quand tout à coup, au chant du printemps de Siegmund, un miracle ! Changement de décor, des cintres descend une double chambre d’enfants, toute en boiserie. Les jumeaux y retrouvent leur lointain passé, un petit garçon et une petite fille sont sur là scène, avec des vêtements scintillants, pour l’évoquer. Il y a là leurs jouets (des petits chevaux), leurs photos d’enfants. La reconnaissance réciproque des jumeaux est traitée avec une finesse, une émotion, une poésie, qu’on attendait plus. Il faut toutefois trouver Notung : la pyramide lumineuse, symbole du clan Wotan, est là, et qu’il y a t-il dans sa base ? Un pistolet, bien sûr. Siegmund étant ainsi armé, on revient pour la toute fin de l’acte au décor initial. Les jumeaux s’embrassent, ils n’ont pas vu que Hunding s’est réveillé et brandit sa clé à mollette. Au deuxième acte, on se retrouve chez Wotan. Le décor vu dans l’Or du Rhin est toutefois un peu modifié puisque côté jardin, au lieu du garage, on voit une partie de la pyramide du Louvre. Surprise : on assiste pendant le prélude à une veillée funèbre. Un cercueil blanc est là, et on devine au fond le portrait de Freia. Suicidée ? Ces Dieux ne sont pas immortels, et cette histoire de jeunesse éternelle que Freia était censée assurer n’est qu’un leurre. Les Walkyries qui assistent à la veillée (le temps a passé depuis l’Or du Rhin : ce sont maintenant des adultes, et certaines ont des enfants, particulièrement dissipés) ont des comportements contrastés. On enlève le cercueil, et Brünnhilde fait son entrée dans une invraisemblable tenue que je qualifierai faute de mieux de style mexico-balkanique. Elle est accompagnée d’un homme longiligne, barbu et chevelu, en costume anthracite : c’est son cheval Grane. Elle part, après avoir reçu son ordre de mission, avec de petits cris de joie. La scène Wotan-Fricka serait ensuite traitée de façon assez habituelle, si ce n’est
qu’elle se déroule en présence de Hunding, le plaignant, et tout dans la
gestuelle de celui-ci indique qu’il n’est qu’un subalterne, mal à l’aise
dans l’appartement de ses patrons, bien qu’il soit dans son bon droit. Une
idée intéressante. Un peu vaine ensuite la grande scène de Wotan : il ne
lâche son pistolet que pour se saisir d’un extincteur, et vice-versa….Les
jumeaux apparaissent. Brünnhilde, pour l’annonce de la mort, s’est changée
et est en grand deuil. Sieglinde est désespérée et s’apprête à avorter à
l’ancienne, à l’aiguille à tricoter. Heureusement, Siegmund intervient à
temps. Wotan vient examiner sa fille inconsciente pour s’assurer que la
grossesse se passe bien (c’est God Gynéco !), puis il abaisse la petite
culotte de Sieglinde. On sent bien qu’il est titillé par un désir de nouvel
inceste. C’est donc lui le père de Siegfried ! Vient le combat, tous se
menacent les uns les autres avec leurs pistolets mais un seul tire : c’est
Wotan qui abat Siegmund. Désespéré, il laisse ensuite partir Hunding, mais
le fait suivre par son majordome, qu’on devine exécuteur des basses œuvres
SAISON 3. La masure de Mime au premier acte de SIEGFRIED est comme on pouvait s’y attendre bien misérable. Elle reprend le plan général de la demeure de Wotan avec chambre d’enfants sur la mezzanine, particulièrement tristounette ici. Côté cour, un four à micro-ondes, un aquarium, et au-dessus, un petit théâtre de marionnettes. On se rappelle que Wagner enfant y jouait. Des poupées sont disposées en spectatrices sur leurs petits fauteuils, tiens, l’une d’elles a un t-shirt jaune. Au-dessus de l’entrée est disposée une guirlande « happy birthday », au fond on devine des cibles pour le tir au pistolet. Tonton Mime a vieilli (oui, c’est aussi l’oncle de Siegfried dans cette série, faites l’arbre généalogique si vous ne me croyez pas), il a besoin d’une canne anglaise pour marcher. Arrive Siegfried, bouteille à la main, déjà passablement éméché, et qui brise sans effort l’épée en plastique que lui offre Mime. La scène 1 se déroule sans surprise, sauf que l’évocation par Mime de la mort de Sieglinde se fait dans le petit théâtre de marionnettes. Le Voyageur parait, chargé d’un grand paquet-cadeau : difficile de ne pas comprendre que c’est Wotan, avec son éternel costume jaune, même si ses cheveux ont blanchi, le temps qui passe n’épargne personne. La scène des questions-réponses se fait là encore sans surprises, Wotan occupant à son tour le petit théâtre. Après son départ, Mime, pour évoquer la peur, montre à Siegfried des photos d’un magazine érotique. On ouvre alors le paquet-cadeau, qu’il y a t-il dedans ? Une canne anglaise toute neuve, pour remplacer celle que Siegfried a brisée. Mais cette canne est une canne-épée, et on en sort un fleuret ! Pas de Notung dans la Walkyrie, mais Notung dans Siegfried : la cohérence n’est pas bien claire. D’autant que, bien que ce fleuret soit tout neuf, Siegfried entreprend d’un peu le forger, ce qui nous vaut de jolies volées d’étincelles. A la fin de l’acte, Siegfried met la tête de Mime dans le four à micro-ondes (…), puis dans l’aquarium, essaie de le tuer avec un pistolet qui n’est qu’un pistolet à amorces pour enfants, et de rage décapite et démembre ses poupées. Huées massives. Fafner agonise sur son lit médicalisé. On voit dans son appartement le même canapé d’angle que chez Wotan, un tableau représentant sans doute un père apprenant la lecture à son fils, une de ces fausses cheminées dont les américains sont friands, et la petite pyramide lumineuse. Il maltraite ses infirmières, l’une d’elles s’avèrera être l’oiseau. Il est veillé par un grand jeune homme en t-shirt jaune : si vous avez suivi, vous avez compris que c’est Hagen, qui a bien grandi depuis l’Or du Rhin. Alberich a lui aussi vieilli : il n’a plus de cheveux, et sa barbe s’est allongée. Il apporte à Fafner un petit bouquet de roses, peu après Wotan apporte, lui, une énorme gerbe de fleurs. La compétition continue. Après leur scène, tous deux s’assoient au fond de la pièce, devant la fausse cheminée, pour attendre le dénouement. L’infirmière-oiseau, désespérée par la méchanceté de Fafner, se réfugie vers le canapé et flirte gentiment avec Siegfried. Celui-ci fait de grands moulinets avec le fleuret lors du solo de cor. Fafner fait péniblement quelques pas avec un déambulateur, Siegfried le bouscule à peine, Fafner tombe, et meurt des suites de sa chute. Siegfried paniqué cherche auprès de tous une aide que tous lui refusent. L’oiseau fait les poches de Fafner, il en retire un poing américain (l’avait-il déjà pour tuer Fasolt ? je ne sais pas) qui passe dans les mains de Siegfried et dont s’empare finalement Hagen. Siegfried s’éloigne pour récupérer en principe anneau et Tarnhelm, il revient avec ce qui m’a semblé, du 20ème rang, être un seau à champagne. Très classiquement il embroche Mime avec son fleuret, mais Mime n’en finit pas de mourir, ça devient pénible. Siegfried l’étouffe alors avec un coussin, puis, Mime résistant toujours, c’est Hagen qui finit le travail avec le coussin. Siegfried et Hagen partent ensemble. Normal: Siegfried a récupéré l’anneau dans ce deuxième acte, or, Hagen est l’anneau. Il appartient donc désormais à Siegfried. Vous êtes perdus? Revoyez la Saison 1, premier épisode. Huées massives. Au troisième acte, nous sommes toujours chez Fafner, mais l’appartement est vu dans une orientation différente. Personne n’a pris la peine d’enlever les cadavres. La fausse cheminée est éteinte. Côté jardin apparaît un bout de pyramide du Louvre. Erda arrive avec la petite pyramide lumineuse, suivie d’une jeune femme avec une cape dorée que, malgré mes efforts, je ne suis pas arrivé à identifier. Entre Wotan, qui a récupéré le sombrero de Brünnhilde. A la fin de la scène avec Erda, aux paroles « Hinab, zu ew’gem Schlaf », Wotan n’est pas loin de se suicider d’un coup de pistolet, mais il renonce in extremis. Et voici Hagen et Siegfried, manifestement perdus puisqu’ils sont revenus à leur point de départ. Siegfried n’est pas très content. Son entrevue avec Wotan est traitée de façon conventionnelle. Beaucoup moins conventionnelle est l’arrivée de Brünnhilde, qui ne dormait donc pas : vêtue d’une grande cape blanche, la tête entièrement recouverte de bandages, ce qui laisse penser qu’elle a été l’objet d’un copieux lifting afin d’effacer les attaques du temps, elle porte des lunettes noires. Elle est suivie fidèlement par Grane. Siegfried lui ôte délicatement les bandages, et on voit apparaître une Brünnhilde beaucoup plus jeune que dans la Walkyrie. Il n’est pas impossible que le casting affichant 2 Wotan, 2 Brünnhilde et 2 Siegfried, ait été motivé non seulement pour des raisons de sécurité vocale, mais aussi pour des raisons de concept dramaturgique, avec des chanteurs d’âge différent. Comme à la fin de l’acte 1 de la Walkyrie, la mise en scène va connaître un moment de grâce, la relation amoureuse naissante entre Siegfried et Brünnhilde est bien dessinée, avec finesse et émotion. Mais pendant ce temps, on voit Hagen, évidemment abandonné par Siegfried, crever peu à peu de jalousie. Cette histoire va mal se terminer. Happy end pour le moment, on devine au loin les phares d’une voiture (qu’on ne reverra plus) qui devrait emmener notre jeune couple vers un avenir radieux, et Brünnhilde a retrouvé son sombrero !
SAISON 4. Au prologue du CREPUSCULE DES DIEUX, nous retrouvons la double chambre d’enfants vue dans la Walkyrie, avec les petits chevaux dans les rayonnages et la petite pyramide lumineuse. Il y a là la fille de Siegfried et de Brünnhilde, une blondinette âgée d’environ 6 ans. Ses parents l’entourent avec tendresse, mais on sent que le couple bat de l’aile. Cette fillette étant présente sur scène dans tout l’opéra, pour plus de commodité j’ai décidé de l’appeler Sieghilde, ça sonne mieux que Conchita. Sieghilde est vêtue de rose, comme sa maman (souvenir des Walkyries). La scène des Nornes est traitée d’une façon très originale : Sieghilde s’est endormie, de son lit et de l’autre lit, vide (il y a-t-il eu un petit frère ? Nul n’en saura rien), sortent trois silhouettes fantomatiques, visages masqués, ongles interminables, tenues scintillantes. Ces Nornes oniriques seront rejointes brièvement par un Alberich tout aussi fantomatique. Puis Siegfried s’en va, au grand désespoir de Brünnhilde, accompagné de Grane qui a bien blanchi lui aussi et qui remplace le sac marin que Siegfried avait prévu pour son voyage par deux valises à roulettes : c’est bien plus pratique. Les Gibichungen viennent sans doute de s’installer dans leur nouveau palais : tout est blanc, les murs, les meubles, les cartons du déménagement n’ont pas encore tous été ouverts. Une grande photographie montre Gunther, Gutrune et Hagen ayant tué un zèbre lors d’un safari en Afrique. On livre un sapin de Noël. Une sculpture de cheval grandeur nature, entourée de plastique transparent, est renversée au sol. Hagen est maintenant un homme mûr mais qui a conservé, merci au costumier, son t-shirt jaune. Mais plus tard, il le couvrira du blouson de cuir de son père. Gunther, cheveux longs, est un agité pusillanime qui ne refuse jamais un verre d’alcool, sur son t-shirt on lit « who the fuck is Grane ? » (P…qui c’est ce Grane ?), Gutrune, en ensemble vert pomme non bio, est une allumée/allumeuse quelque peu déjantée. Ces deux personnages ingrats sont particulièrement travaillés, une réussite. Arrive Siegfried, on emmène un réticent Grane à l’écurie, en coulisses. Ce fait plutôt insignifiant, mentionné dans le livret, est ici fort important. En effet, quelques minutes plus tard, réapparait brièvement un Grane déshabillé, ensanglanté, tentant d’échapper à ses tortionnaires. Il implore l’aide de Siegfried qui n’intervient pas, séduit par Gutrune. Et on comprend vite d’où vient le liquide rouge sombre que vont boire Siegfried et Gunther pour sceller leur amitié. Cette scène se termine avec la vision de Hagen s’apprêtant à égorger Grane. Retour à la chambre d’enfants. La mission de Waltraute était clairement d’enlever Sieghilde, Brünnhilde s’y oppose. Gunther arrive, coiffé de la casquette jaune et noire (c’est donc le Tarnhelm !) tandis que Siegfried est en coulisse. Les deux se partagent les répliques. Pas d’autres surprises dans cette scène, traitée avec la violence qui convient. La scène nocturne qui ouvre le 2ème acte est ici absurdement traitée en pleine lumière. Un seul élément de décor au milieu de la scène vide : un sac de frappe pour l’entrainement de boxe de Hagen. Il est moyennement convainquant dans cet exercice. On se demande bien pourquoi Alberich, dont la longue barbe a maintenant blanchi, s’évertue à répéter « Schläfst du, Hagen mein Sohn ? » puisqu’à l’évidence, Hagen ne dort pas mais boxe. Une scène ratée. La brève scène suivante nous montre Gutrune accueillant Siegfried en robe de latex noire, et rivières de (faux) diamants. Et survient le sommet visuel de ce Ring : le rideau de fond de scène se lève, dévoilant dans une lumière rasante perçant les fumigènes, une armée de Gibichungen impeccablement alignés dans toute la profondeur de la scène, genre armée de Xian, très inquiétants avec leurs grandes capes noires, leurs cagoules et leurs masques de Wotan avec casques ailés : Valentin Schwarz s’est souvenu de la scène de l’orgie d’Eyes wide shut de Kubrick. Jamais je n’ai vu une apparition du chœur dans le Crépuscule aussi impressionnante. La scène suivante nous fait comprendre que Sieghilde, a qui on a enlevé sa robe rose, et qui passe de main en main, est désormais l’anneau : c’est elle l’héritière (ou l’héritier ? Elle est plutôt habillée en petit garçon désormais). Siegfried et Brünnhilde, cette dernière entrée chez les Gibichungen les yeux bandés, prêtent serment sur le fleuret Notung. Lors du trio final, on remarque que Gunther tient en permanence un sac en plastique. Que peut-il contenir ? Vous le saurez bientôt. Le 3ème acte en entier se situe dans une piscine vide et abandonnée : difficile de faire plus laid. Elle fait environ 4 mètres de profondeur et occupe toute la largeur de la scène. Côté jardin part une gosse canalisation, une échelle côté cour permet d’accéder au bord de la piscine, où arriveront, donc en hauteur, Hagen, Gunther, et leurs hommes complètement ivres, puis Gutrune et Brünnhilde. On retrouve le paysage désertique vu au début de l’Or du Rhin. Un trou dans le sol de la piscine est rempli d’eau, Siegfried et Sieghilde y pêchent, idée stupide, et sont évidemment bredouilles. Les Filles du Rhin ont aussi pris un coup de vieux, et sont bourrées d’arthrose. Elles échouent à récupérer Sieghilde. Lors de son récit, Siegfried ne reconnaît Hagen que lorsqu’il voit son poing américain. Il est trop tard, et Hagen le poignarde dans le dos. Sieghilde, qui s’était endormie, essaie vainement, pendant la marche funèbre, de réveiller son père. Il n’y a pas de combat entre Gunther et Hagen. Brünnhilde paraît enfin, toujours vêtue de rose. Elle a récupéré le sac plastique de Gunther, l’ouvre et en sort la tête de ce pauvre Grane. On se croit alors dans Salomé lorsque Brünnhilde embrasse les lèvres de Grane. Mais le dénouement approche, il y a dans la piscine un jerrycan d’essence, et côté cour quelques bûches. C’est finalement bien organisé cette piscine délabrée, pensez-vous, mais non, le jerrycan est trop lourd et Brünnhilde n’arrive pas à le porter. Il ne lui reste plus qu’à s’allonger, à côté de Siegfried, avec la tête de Grane entre eux, et à attendre que ça se passe. Sieghilde est endormie (ou sans connaissance ? ou morte ?) en haut, au bord de la piscine. Hagen, qui ne sait que trop ce que c’est qu’être l’Anneau et qui semble terrorisé, s’écrie pour lui-même « Zurück vom Ring !» et renonce à prendre Sieghilde. Des néons horizontaux se dévoilent en fond de scène et nous éblouissent bien inutilement. Lorsque résonne enfin le motif de la rédemption, on retrouve la vidéo initiale, mais cette fois-ci les jumeaux dans leur liquide amniotique sont en paix, tendrement enlacés. Qui peut croire, malgré la musique, à cette vision finale optimiste ? Huées massives d’une majorité du public.
Cela fait une vingtaine d’années (2003, Vaisseau Fantôme par Claus Guth) qu’une certaine esthétique théâtrale s’est progressivement imposée à Bayreuth, avec souvent comme principe fondateur le remplacement de l’histoire originelle par une autre histoire, plaquée là avec des fortunes diverses, et exigeant du spectateur des efforts de décodage. Cela a pu donner, en toute subjectivité, des résultats remarquables : Parsifal 2008-2012 par Stefan Herheim, Lohengrin 2010-2015 par Hans Neuenfels, Or du Rhin 2013-2017 par Frank Castorf, Maîtres-Chanteurs 2017-2021 par Barrie Kosky, Tannhäuser depuis 2019 par Tobias Kratzer ; ou des résultats pathétiques : Tristan 2005-2009 par Christoph Marthaler, Tannhäuser 2011-2014 par Sebastian Baumgarten, Vaisseau Fantôme 2012-2018 par Jan Philipp Gloger. Ce nouveau Ring, tant attendu, aurait dû être créé en 2020, mais le Coronavirus a dicté sa loi et imposé un report de deux ans. Ce délai supplémentaire ne semble toutefois pas avoir permis à l’équipe scénique de finaliser son travail, et on peut globalement parler d’échec, avec si je puis dire plus de Schwarz que de Licht. Il y a eu toutefois scéniquement des moments réussis : la fin du 1er acte de la Walkyrie, le 3ème acte de Siegfried, et surtout, le prologue, le 1er acte et les 4 dernières scènes du 2ème acte du Crépuscule. Pour l’an prochain, il me semble urgent et prioritaire d’éradiquer nombre de gags qui n’amusent personne, de reprendre en main la direction d’acteurs dans certaines scènes-clés (1er acte de la Walkyrie), et de refaire complètement le catastrophique 3ème acte du Crépuscule.
Le jeune chef d’orchestre prévu en 2020, Pietari INKANEN, inconnu complet, avait fait l’objet de critiques calamiteuses lors de la Walkyrie donnée en version semi-scénique en 2021. Il était néanmoins programmé pour diriger le Ring 2022, mais il était remplacé, pour cause de Covid 19, à deux semaines de la première, par Cornelius MEISTER. Le Coronavirus était-il seul en cause ? Nous verrons bien si INKANEN revient en 2023 comme cela a été annoncé. La tâche de Cornelius MEISTER, très jeune chef également, était évidemment bien malaisée. Dans l’Or du Rhin, l’orchestre semblait étonnamment absent, une page marquante comme l’interlude orchestral entre la 2ème et la 3ème scène passait pour ainsi dire inaperçue. C’était un peu mieux dans la Walkyrie et dans Siegfried, malgré quelques décalages entre fosse et scène au 1er acte de Siegfried, avec une interprétation plus lyrique que dramatique, mais ne laissant pas d’impression profonde. Il a fallu attendre le Crépuscule pour qu’enfin l’orchestre décolle, sonne avec puissance, et pour que le chef se permette quelques rubatos expressifs. Il a été accueilli par des huées par une partie du public.
Les personnages d’Alberich, Wotan et Loge dominent L’OR DU RHIN, et un Or du Rhin réussi repose sur un parfait équilibre vocal et théâtral de ces trois personnages. C’est loin d’être le cas ici, tant l’Alberich d’Olafur SIGURDARSON domine les débats : voix noire, puissante, détaillant sa malédiction avec férocité, il a de plus, avec sa petite taille, le physique du rôle. Le Wotan d’Egils SILINS a une belle voix, de la noblesse, mais ne marque guère les esprits. Pas plus que le Loge de Daniel KIRCH, correct, sans plus, et vite oublié. On se console avec les « petits » dieux, en particulier Froh (Attilio GLASER) et Freia (Elisabeth TEIGE), grand luxe pour des rôles aussi courts, avec la Fricka autoritaire de Christa MAYER, qu’on retrouvera avec les mêmes qualités dans la Walkyrie, et surtout avec l’Erda absolument somptueuse d’Okka von der DAMERAU, triomphatrice avec SIGURDARSON de cet Or du Rhin. Un beau Fasolt, Jens-Erik AASBø, efface le Fafner bien trop discret de Wilhelm SCHWINGHAMMER qui sera plus à son affaire dans Siegfried. On parlera de Mime dans Siegfried où le rôle est plus important. On a entendu de meilleurs trios de Filles du Rhin. Le niveau monte nettement dans LA WALKYRIE, qui a été vocalement le sommet de ce Ring. Lise DAVIDSEN en premier lieu bien sûr. La voix est insolente de beauté et de puissance, le contrôle du souffle est phénoménal. Mais toute l’humanité de Sieglinde est là aussi, l’émotion nous submerge à chacune de ses interventions. Cette norvégienne serait-elle la réincarnation d’une autre ? Avec sagesse elle ne chante pas encore Isolde et Brünnhilde. Elle en sera la titulaire du siècle lorsque le temps viendra. J’avais une certaine appréhension envers le Siegmund de Klaus Florian VOGT, tant on a l’habitude pour Siegmund de voix plus sombres. VOGT a gardé cette clarté qui rend son Lohengrin si précieux et singulier, mais la puissance est là aussi, et il maitrise le rôle sans aucune difficulté. En Hunding, Georg ZEPPENFELD apporte sa beauté vocale, son intelligence : un grand luxe pour ce rôle. Le Wotan de Tomasz KONIECZNY est immense de beauté vocale, d’ampleur, d’émotion. Il renouvellera cette splendide interprétation dans Siegfried. La grande classe. Iréne THEORIN chante depuis des années Brünnhilde un peu partout. Les aigus trémulent un peu, mais sa prestation semble meilleure que dans les deux premiers cycles. Un bon ensemble de Walkyries, d’où se détache un peu trop Daniela KÖHLER (Helmwige). Andreas SCHAGER est depuis quelques années le SIEGFRIED que les scènes du monde entier s’arrachent. La voix est puissante, bien timbrée. La justesse est parfois limite. Mais surtout il ne peut s’empêcher de chanter fort en permanence, et à la fin de l’acte I à quelques reprises la voix se dérobe un peu, ce qui fait naitre des craintes pour la suite, d’autant qu’on savait que lors du 2ème cycle, il avait terminé sans voix. Heureusement, il n’en a rien été au 3ème cycle, et il arrive au bout de ce rôle inhumain sans efforts apparents. Face à lui, grand succès aussi pour la Brünnhilde de Daniela KÖHLER, voix juvénile, claire, puissante, avec un discret vibrato. Une chanteuse à suivre. On a dit la haute qualité du Wotan de KONIECZNY. Joli Oiseau d’Alexandra STEINER. Les chanteurs entendus dans l’Or du Rhin renouvellent leurs performances : Erda grandiose de Okka von der DAMERAU, Alberich percutant de SIGURDARSON, Fafner plus présent de SCHWINGHAMMER. Reste Mime, le rôle le plus long après celui de Siegfried. Dans l’Or du Rhin, tout allait bien pour Arnold BEZUYEN. Ici, la longueur du rôle affecte les moyens de ce chanteur qui fut sur cette scène un Loge de référence entre 1998 et 2010, il devient parfois difficilement audible, et il n’efface pas le souvenir des grands comédiens affichés dans Mime qu’on a pu voir dans le passé (Ulfung, Zednik, Clark…). Dans le CREPUSCULE DES DIEUX, on retrouve Iréne THEORIN en Brünnhilde. Le registre grave est parfois peu audible, la voix bouge dans les aigus. Elle a été huée par une partie du public. On peut comprendre que l’artiste en ait été blessée. Il n’empêche que sa réponse, un doigt d’honneur, manquait singulièrement d’élégance. Stephen GOULD en Siegfried garde sa puissance vocale, mais son timbre s’est un peu terni, les aigus sont courts et écrasés. Etait-il raisonnable de programmer dans un même festival un ténor de 60 ans pour 4 Tannhäuser, 2 Tristan et 3 Siegfried du Crépuscule, dont il ne chanta d’ailleurs pas le premier ? Troisième vétéran, Albert DOHMEN. Personne n’a comme lui été affiché dans trois productions différentes du Ring d’abord comme Wotan (2007-2010), puis comme Alberich (2015-2017), et enfin comme Hagen. Hagen d’une grande intelligence, mais manquant de présence vocale : peu de puissance, il n’a pas non plus les notes graves des vraies basses. Révélation de Michael KUPFER-RADECKY, Gunther exceptionnel, dont la voix et l’interprétation m’ont fait penser à Hermann Uhde. Et confirmation de l’immense talent d’Elisabeth TEIGE (entendue cet automne dans une Sieglinde bouleversante à Berlin, et qui a reçu lors de ce festival des critiques dithyrambiques pour sa Senta) qui s’impose en Gutrune. Grande Christa MAYER en Waltraute, un succès. Nornes hétérogènes : la première (Okka von der DAMERAU) somptueuse, la seconde (Stephanie MÜTHER) bien, la troisième (Kelly GOD) criarde et indigne de Bayreuth. Enfin, les chœurs de Bayreuth restent ce qu’ils sont, à savoir les meilleurs du monde. Dans la distribution, comme dans la mise en scène, il y aura des adaptations à faire pour ce Ring qui devrait être présenté plusieurs années. Le prochaine production, ce sera en 2026, pour les 150 ans (et donc pour le cinquantenaire du Ring de Boulez-Chéreau : misère !). Il y avait quelques fauteuils libres dans la salle, la politique de mise de scène et la politique de prix du festival y sont pour quelque chose. Il était d’ailleurs cette année assez facile de trouver des places à Bayreuth, ce qui est inhabituel, surtout pour une nouvelle production. Il est nécessaire que la direction du festival prenne en compte ces signaux négatifs. J’ajoute que le contrôle à chaque entrée dans le Festspielhaus du billet comportant le nom du titulaire ET de la carte d’identité (ce qui rend toute revente impossible), suivi d’un deuxième contrôle du billet seul à l’entrée dans la salle, ne va pas dans le sens d’une grande convivialité. Enfin, nouveauté de l’année, l’inamovible maison Steigenberger qui assurait la restauration a été remplacée par la société Wahnfood. Pas très différent, mais il n‘est pas sûr que le self ait gagné en fluidité… Hervé GUINOT
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