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                             WINIFRED WAGNER,  "LA DAME DE BAYREUTH"

 

 

 

 

 

Quel destin remarquable pour cette petite orpheline Anglaise devenue à 17 ans l'épouse de Siegfried Wagner, puis la responsable de l'héritage Wagner de 1930 à 1945, la période la plus tourmentée du vingtième siècle!


En 1975, le cinéaste Allemand Hans Jürgen Syberberg réalise à Bayreuth une interview de Winifred Wagner, alors âgée de 78 ans; ce document est ensuite présenté au festival de Cannes sous la forme d'un film de cinq heures (1). Le scandale éclate aussitôt. En effet, Winifred y réaffirme avec force et ténacité son amitié intime et son admiration pour le Führer de l'Allemagne nazie, Adolf Hitler. Ce fait était connu depuis toujours, mais le temps en avait quelque peu atténué l'impact. En 1975, cependant, elle jette de l'huile sur le feu et relance la diabolisation dont elle est encore l'objet aujourd'hui, comme si elle devait être marquée à jamais d'un sceau d'infamie.   

Aujourd'hui, chaque fois que le nom de Winifred est cité, on ne manque pas de l'associer de manière polémique à Hitler, à sa personnalité et à son oeuvre. C'est un point que nous aborderons bien évidemment en détail dans le texte qui suit, mais on ne peut pas non plus réduire la vie et l'œuvre de Winifred à cette relation qui a duré 22 ans. Il y a un avant et un après.

 

Née à Hastings le 23 juin 1897, Winifred Marjorie Williams, fille d'un père journaliste et d'une mère actrice, perd ses parents avant d'avoir atteint l'age de deux ans. Après avoir été élevée dans différents orphelinats, puis par sa grand-mère, elle est finalement adoptée par des cousins éloignés de sa mère, Henrietta Karop et son mari Karl Klindworth. C'est là que tout commence pour elle.
De cette période d'enfance, jusqu'à l'age de neuf ans, elle parle très peu; on peut imaginer que ce fut pour elle un début de vie difficile et douloureux. Il ne fait aucun doute cependant que ces épreuves ont contribué à forger le caractère courageux et combatif qu'elle va manifester tout au long de sa vie.

C'est précisément l'adoption par la famille Klindworth qui va constituer le lien avec le clan Wagner. Karl Klindworth, violoniste, compositeur et chef d'orchestre, avait été un ami personnel de Richard Wagner et avait réalisé des réductions pour piano de ses ouvrages.  

Resté proche de Cosima et régulièrement invité à Wahnfried, il amène en 1914 sa fille adoptive âgée de 17 ans assister aux répétitions générales du festival.

Elle y rencontre Siegfried et Cosima Wagner; à propos de cette dernière, elle déclare: 

« Elle était toujours, malgré ses soixante-dix-sept ans, un personnage tout en grandeur, qui inspirait le respect. De sa voix mélodieuse, un peu grave, elle ne manquait jamais de m'adresser quelques mots aimables quand nous allions la saluer à notre arrivée ou au moment de nous retirer ».
Quant à Siegfried, le coup de foudre est immédiat et réciproque ; il dira avoir trouvé en Winifred la Sieglinde qu'il attendait de puis toujours. De son côté Winifred dit avoir été charmée par sa voix et par sa gentillesse. Le couple se marie l'année suivante le 22 septembre 1915; précisons que Siegfried était de 28 ans son aîné. De leur union naissent quatre enfants qui voient le jour quatre années à la suite: Wieland, Friedelind, Wolfgang et Verena.

 

(1) Hans Jürgen Syberberg: "Winifred Wagner und die Geschichte des Hauses Wahnfried"

1975-1977

La vie à Wahnfried, nous raconte-t-elle dans le film, n'est pas toujours facile et sereine ; la cohabitation de cette jeune étrangère avec ses belle soeurs, Eva, Daniela et Blandine n'est pas exempte de tensions. Il s'agit en fait de savoir quelle est sa place dans la hiérarchie des femmes de la maison Wahnfried. Tant qu'Eva et son époux vivaient à Wahnfried, Siegfried considérait que sa soeur devait être la maîtresse de maison. C'est à parti du jour ou le couple partit s'installer ailleurs que Winifred devint enfin la "dame de Wahnfried". Jusqu'en 1930 elle va se consacrer à sa famille avec une certaine discrétion. A cette époque, Winifred apparaît   comme une jeune femme "moderne": elle fume, elle conduit une voiture (elle a le premier permis a Bayreuth), ce qui contraste avec ses belles-soeurs plus âgées qui sont restées très "XIXe siècle".

Autre évènement marquant de cette époque, sa rencontre en 1923 avec un personnage qui commençait à faire parler de lui : Adolf Hitler, venu à Bayreuth pour un meeting politique. C'est le début d'une relation personnelle étroite et intense entre les deux personnages dont nous parlerons plus en détail dans la suite.

 

En 1930 se produit un double coup de tonnerre : le décès de Cosima en avril suivi de celui de Siegfried en août. Voila donc Winifred héritière et seule responsable du festival. Elle est devenue maintenant la "dame de Bayreuth" et le restera jusqu'en 1945. Sa prise de pouvoir ne fut cependant pas facile. Elle n'était en rien préparée à affronter une telle responsabilité, surtout de manière aussi brutale. Comprenant qu'elle n'avait pas les compétences musicales et artistiques pour diriger le théâtre des festivals elle fit appel à des collaborateurs pour l'entourer et la conseiller, en particulier à des personnalités de premier plan comme Wilhelm Furtwängler et Heinz Tietjen qui formeront avec elle le "triangle" (Dreieck) qui va gouverner Bayreuth jusqu'en 1945. Signalons aussi l'engagement d'Emile Pretorius comme directeur de scène en 1932; il restera en fonction jusqu'en 1942. 

 

De 1930 à 1933, on continue les productions telles qu'elles étaient jusqu'alors. Mais à partir de 1933 tout va changer à l'occasion d'une nouvelle production de Parsifal qui doit être donnée l'année suivante. Force était de constater, dit Winifred dans le film, que les décors utilisés lors de la première de 1882 partaient en lambeaux et qu'il fallait tout refaire. Mais Winifred prend une lourde responsabilité en disant qu'elle ne veut pas se contenter de reprendre tels quels les décors d'origine. Cette initiative va soulever bien des contestations et des oppositions, en particulier de la part de ses belles sœurs qui affirmaient qu'il ne fallait absolument rien changer à ce que le Maître avait lui-même mis en place. A leur initiative, une pétition fut lancée et envoyée à Hitler lui-même, qui avait pris le pouvoir en janvier 1933. Le Führer se trouva bien ennuyé par cette pétition, car ses relations d'amitié et de complicité profonde avec Winifred l'empêchaient de prendre une décision brutale et autoritaire ; d'un autre côté, sa fidélité à l'oeuvre de Wagner lui faisait rejeter avec horreur l'idée de trahir la volonté du compositeur. On trouva donc un compromis : Hitler suggéra à Winifred d'engager le peintre et décorateur Alfred Roller, qu'il avait connu quelques années auparavant à Vienne. Quand on regarde aujourd'hui les décors proposés par Roller, on voit que s'il a effectivement allégé et éclairci le décor, il n'y a malgré tout rien de révolutionnaire dans son travail ; on reste au contraire assez proche de la conception réaliste développée en 1882 par Joukowsky à la demande de Wagner. Finalement, le décor sera repris en 1934 par son fils aîné, Wieland, qui réalisera à cette occasion sa première création théâtrale.

Signalons en 1933 la venue, pour la première et seule fois, de Richard Strauss remplaçant au pied levé Arturo Toscanini qui avait brutalement démissionné de son poste de chef d'orchestre de Parsifal pour raison politique après l'arrivée d'Hitler au pouvoir.
Cette même année, un événement se produit au Festspielhaus. Depuis la prise de pouvoir par les nazis, les lois antisémites interdisent aux artistes juifs de se produire sur scène. Or, depuis les années 20, la basse russe Alexander Kipnis avait interprété le rôle de Gurnemanz dans Parsifal avec grand succès. Se trouvant dans l'impossibilité de le remplacer, Winifred demandera et obtiendra de Hitler une dérogation, ce qui est cas unique a cette époque. Par chance, il nous reste quelques extraits audios de ces représentations de 1933, où l'on peut entendre l'enchantement du vendredi saint avec Kipnis, Max Lorenz et Richard Strauss lui-même. On mesure, à cette occasion, l'influence réelle que pouvait avoir Winifred sur son ami intime. Un autre exemple de cette influence et de la bienveillance du Führer a son égard nous est donné par le fait suivant : Winifred obtint de Hitler (c'est un cas unique) la faculté de rester en dehors de la " chambre des théâtres du Reich", sous le contrôle de Joseph Goebbels, ce qui lui laissa une totale indépendance pour gérer le festival comme elle l'entendait jusqu'en 1945.


Le moment est venu maintenant de nous attarder davantage sur la relation si particulière entre la "dame de Bayreuth" et le maître de l'Allemagne nouvelle. 

La première rencontre remonte donc à l'année 1923 et c'est d'emblée le coup de foudre. Dans le film de Syberberg, Winifred répète à plusieurs reprises que son amitié pour Hitler était une affaire purement personnelle et "unpolitisch" (non politique). Elle appréciait en lui, dit-elle, le caractère "Autrichien", chaleureux et spontané, mais par dessus tout la dévotion qu'il manifestait pour l'oeuvre et le personnage de Richard Wagner. Très vite, les deux amis vont passer au tutoiement et au diminutif : "Wolf" pour l'un et "Wini" pour l'autre. Hitler est reçu à Wahnfried comme un invité de marque et s'intègre à la famille Wagner où il est particulièrement apprécié par les enfants sous le nom "d'oncle Wolf"; Winifred affirme qu'il s'agissait, pour ce solitaire, d'une famille de substitution.

En novembre 1923, après le putsch manqué de Munich, Hitler est incarcéré à la forteresse de Landsberg; on dit que Winifred lui aurait fourni le papier dont il avait besoin pour écrire son "Mein Kampf", mais cela est contesté. Winifred, pour sa part, rejoint les rangs du parti Nazi en 1926 ou en 1929 selon les sources. Elle proclamera toujours en tout cas sa fidélité à Adolf Hitler, et réaffirmera avec force dans le film de 1975, ce qui fera éclater le scandale dont on a parlé plus haut.

L'arrivé d'Hitler au pouvoir en 1933 est à l'évidence un formidable atout pour la dame de Bayreuth : non seulement, comme on l'a vu, elle est exemptée de la tutelle de la " chambre des théâtres du Reich", ce qui lui donne une autonomie artistique totale, mais elle acquiert aussi la sécurité financière qui avait toujours fait défaut à Cosima et à Siegfried. A partir de 1933, Hitler est accueilli en grande pompe chaque année au festival où le public manifeste à son égard un enthousiasme extrême (mais, soulignons-le, c'était le cas partout en Allemagne à l'occasion des manifestations publiques du Führer). Ce dernier avait cependant fixé une règle stricte : à l'extérieur, devant le Théâtre, il acceptait les hommages et les salutations, mais à l'intérieur le Maître seul devait être applaudi et vénéré. Par ailleurs, Hitler avait interdit qu'on utilise des symboles ou des emblèmes Nazi dans les mises en scène des oeuvres de Wagner ; il faudra, paradoxalement, attendre les années 2000 pour voir une mise en scène de Parsifal qui affiche des croix gammées sur le décor de scène.

Au cours des 12 années de pouvoir de Hitler comme chancelier puis comme Führer, Winifred a fréquemment usé de son influence et est intervenue pour protéger ou faire libérer des personnes en difficulté ou en danger. Sa biographe Brigitte Haman (2) raconte qu'elle était choquée par la persécution des Juifs; à la fin des années 30, par exemple, une lettre de sa main envoyée à Hitler avait sauvé le couple Hedwig et Alfred Pringsheim de l'arrestation par la Gestapo. Dans son interview, Winifred raconte qu'elle est intervenue de nombreuses fois auprès de son ami et presque toujours, dit-elle, avec succès. Cela est confirmé par la cantatrice Germaine Lubin (Isolde 39) dans sa radioscopie du 27 février 1975 sur France Inter. 


(2)  Brigitte Haman est un écrivain et une historienne autrichienne auteur du livre
"Winifred Wagner oder Hitlers Bayreuth", Munich, 2002.

De 1933 à 1939 Winifred va organiser des représentations de haut niveau, faisant appel à l'élite des artistes de l’époque : Furtwängler, Tietjen,Von Hösslein, De Sabata pour l'orchestre, Max Lorenz, Franz Völker, Seth Svanholm, Maria Müller, Martha Fuchs, Frida Leider, Margarete Klose, Rudolf Bockelmann, Joel Berglund et bien d'autres pour les chanteurs. les enregistrements dont nous disposons pour cette période en témoignent. A partir de la

déclaration de guerre en 1939, elle envisage de fermer le théâtre comme Siegfried l'avait fait pendant la première guerre mondiale. Elle en est toutefois fortement dissuadée par Hitler qui lui demande de maintenir les spectacles ; mais le contexte va changer : il ne s'agit plus dès lors d'accueillir un public de festivaliers international ; les représentations vont être désormais réservées aux "méritants": les ouvriers et surtout les soldats blessés sur le front. Cette opération sera prise en charge par une organisation caritative appelée "Kraft durch Freude" (la force par la joie). Mais le nombre de spectacles va diminuer d'année en année; on ne joue plus Parsifal et en 1943 et 1944 seul "Die Meistersinger von Nürnberg" sera donné en été.


Après la chute du troisième Reich, une période pour le moins difficile va commencer pour Winifred Wagner. Là, encore, elle va devoir manifester, et plus que jamais, le courage et la force d'âme qui la caractérisent depuis son enfance. De 1945 à 1947 elle quitte Wahnfried et s'exile dans les montagnes du Fichtelgebirge, pas loin de Bayreuth. A son retour, en 1947, elle passe devant une chambre de dénazification.  aux accusations qui sont proférées à son encontre, elle répond par exemple:

«Les faits sont les suivants. Il est de notoriété publique que, durant sa jeunesse, Hitler s’était familiarisé avec les œuvres de Wagner à l’Opéra de Linz et qu’il en était résulté chez lui une passion qui ne fit que s’accentuer au cours des années passées à Vienne, années au cours desquelles il manqua rarement une représentation de Wagner à l’Opéra National. A l’automne 1923, cet enthousiasme conduisit Hitler à pénétrer pour la première fois dans notre maison, ce qui fut à l’origine de notre longue amitié. En 1925, Hitler fut à nouveau invité au Festival par Edwin Bechstein et son épouse. A cette époque déjà, sa présence irritait de nombreux esprits. Aussi lorsqu’il quitta Bayreuth, Hitler me promit-il d’y revenir seulement lorsqu’il ne risquerait plus de porter préjudice à l’entreprise, et qu’au contraire, il aurait espoir de pouvoir lui être utile. Il respecta cette décision jusqu’en 1933, date à laquelle il devint un habitué des festivals. Il est à préciser qu’il achetait ses cartes d’entrée, pour lui-même et son entourage. Dans l’enceinte du Festspielhaus, il n’admettait aucune ovation de la part du public, consigne qui fut strictement respectée. Concernant l’embauche des artistes, Hitler n’exprima qu’une seule fois un « désir »: à l’occasion d’une nouvelle représentation de Parsifal, il proposa comme metteur en scène le célèbre artiste Alfred Roller, de l’Opéra National de Vienne. Malheureusement, à cette époque, Roller était déjà très malade et son travail ne nous donna pas entière satisfaction, de sorte que nous dûmes nous passer de sa collaboration, et que nous confiâmes le soin de réaliser de nouvelles esquisses à mon fils Wieland. Hitler se soumit sans protester à notre décision. Lorsque Goebbels exigea l’incorporation du festival de Bayreuth à la Chambres des Théâtres du Reich et que je m’y opposai en raison de certaines clauses dont le caractère était incompatible avec l’activité du Festival, je m’adressai à Hitler, qui partagea mon opinion et récusa les exigences de Goebbels. (…) J’ajouterai que ni Tietjen (le metteur en scène), ni Pretorius (le décorateur), ni Furtwängler (le chef d’orchestre) n’ont été membres du Parti, et que, pour ma part, j’ai toujours eu la possibilité de travailler avec des collaborateurs juifs ou de parenté juive, jusqu’à leur émigration.»

Le 2 juillet 1947, le jugement tombe:  classée dans le groupe II – celui des activistes – la veuve de Siegfried est condamnée à quatre cent cinquante jours de travaux d’intérêt général. Soixante pour cent de son patrimoine est saisi, et Winifred est démise de ses fonctions au Festival. Sa peine sera toutefois réduite en appel et elle pourra progressivement reprendre une vie normale, mais dans la discrétion.
Le défi pour la famille Wagner est alors de relancer le festival dès que possible. Winifred sait bien qu'elle ne pourra pas reprendre ses fonctions et passe la main en 1949 à ses deux fils Wieland et Wolfgang. Cela aboutira en 1951 au lancement du "Nouveau Bayreuth".
A partir de là Winifred jouera jusqu'en 1976 un rôle certes effacé, mais très actif. Elle répond au courrier de plus en plus abondant, elle organise, nous dit-elle, des réceptions et des cocktails chez elle pour les interprètes pendant le festival. C'est pendant cette période, au début des année 1970, que j'ai eu l'occasion de la rencontrer à quelques reprises. J'ai, en particulier, le souvenir d'un "Lohengrin" donné en 1971 où le hasard m'a amené dans la Mitelloge du théâtre des festivals et où j'ai assisté au trois actes de l'ouvrage à côté de la dame de Bayreuth.
L'impression que j'en ai gardée est celle d'une personne souriante, affable et ouverte, ni hautaine, ni marmoréenne dans sa façon d'être. Mais il y avait en même temps chez elle, dans sa façon de se tenir, un rayonnement personnel incontestable qui forçait le respect, quoiqu'on pense de ses engagements passés.
En 1976, pour le centenaire du festival, Wolfgang Wagner confie au couple Pierre Boulez et Patrice Chéreau la direction et la réalisation du nouveau Ring. Ce fut, on s'en souvient, un coup de tonnerre au théâtre des festivals, soulevant de vives polémiques et même des affrontements. Winifred, pour sa part, s'était écriée: "Die Sinnlose sind Los!" (les fous sont lâchés!). Mais un autre scandale avait précédé cet évènement très médiatisé: c'est justement l'interview de Hans Jürgen Syberberg en 1975. Ce film, fut, on le comprend, un coup de tonnerre pour Wolfgang Wagner. Ce dernier, avec son frère Wieland, avait tout fait depuis 25 ans pour dénazifier Bayreuth et faire oublier les relations (compromissions?) de sa mère avec Hitler. Et voilà que d'un seul coup tout ce travail d'effacement de la mémoire se trouvait anéanti. Très mécontent, il interdit purement et simplement à Winifred d'assister aux cérémonies du centenaire.   
Après cette dernière épreuve, lassée d'avoir tant donné d'elle-même, Winifred Wagner se retire à Überlingen sur les rives du lac de Constance où elle décède le 5 mars 1980 à l’âge de 82 ans. Ses funérailles auront lieu le 10 mars; à cette occasion, le maire de Bayreuth, Monsieur Hans Walter Wild prononce un hommage appuyé à la dame de Bayreuth. On pourra en lire le texte à la fin de l'article, ainsi que celui de Monsieur Ewald Hilger, président de la société des amis de Bayreuth.

UN BILAN:

Que dire pour conclure?

Sur la personnalité de Winifred Wagner, tout d'abord.

Il n'y a chez elle, à l'évidence, ni bassesse ni scélératesse, ni lâcheté. Nous l'avons montré à travers sa biographie, c'était une femme de caractère qui a manifesté en toute circonstance du courage et de la ténacité dans l'épreuve et de la persévérance dans ce quelle avait entrepris. Elle insiste a plusieurs reprises et avec force dans le film de H. J. Syberberg sur le sens de la fidélité qui la caractérise: elle n'a jamais ni abandonné, ni trahi ses convictions, ni rejeté non plus ceux qu'elle a aimés et en qui elle a cru; il lui aurait été pourtant si facile, comme d'autres l'ont fait, de renier ses engagements et de se repentir pour avoir la paix. Mais son caractère entier lui interdisait visiblement un tel choix. En ce qui concerne son attachement indéfectible à Hitler, elle dit elle-même à la fin du film que c'est au-delà de la compréhension et que cela relève peut-être de la psychiatrie.
Chacun jugera en son for intime si cette attitude est condamnable ou force malgré tout le respect.
Quand on lui oppose les exactions commises pendant cette période, elle les reconnaît, mais affirme aussitôt que cela ne la concernait pas, car sa relation avec Hitler était seulement fondée, dit-elle, sur l'amitié personnelle et la communion d'esprit dans le domaine artistique.
Si elle a effectivement adhéré au parti Nazi, c'est un fait que Winifred n'a jamais participé de près ou de loin aux activités politiques du régime et encore moins aux mesures de répression et de déportation. En était-elle informée, ou tout simplement n'a t-elle pas voulu savoir?
Nous ne le saurons probablement jamais. Peut-être un jour la publication de sa correspondance personnelle avec Hitler (pour l'instant refusée par la famille  Wagner) permettra t-elle de lever un coin du voile.
Il nous faut cependant soulever une question essentielle: à plusieurs reprises, nous l'avons vu Winifred rejette catégoriquement toute dimension politique dans sa relation avec Hitler.
Sur ce point précis, nous ne pouvons pas la suivre: il me parait indéniable, et les témoignages directs que j'ai eus sont nombreux, qu'elle a bien adhéré et avec enthousiasme aux idéaux du troisième Reich. Mais quels étaient ces idéaux dans les années 20? L'Allemagne traversait alors, on le sait, une crise matérielle, financière et morale considérable. Winifred, comme de nombreux Allemands, aspirait à un régime qui aurait ramené la prospérité, la justice sociale, et plus encore la fierté que la défaite de 1918, suivie des traités humiliants que l'on connaît, lui avait enlevée. Il est bien certain que Winifred a adhéré avec enthousiasme à ces objectifs ; mais elle n'a pas eu en vue le "côté obscur" du régime qui s'est manifesté ensuite: répression, déportation, mauvais traitements... On sait cependant qu'elle vivait mal, par exemple, la politique antisémite de plus en plus radicale qui s'est progressivement imposée. Mais sans doute le rayonnement, le charisme et la faculté de séduction quasi hypnotique de son ami intime l'ont amenée à voir le troisième Reich uniquement à travers les idéaux que nous avons cités.
Que chacun juge ensuite en son âme et conscience ce qu'il faut en penser.

En ce qui concerne maintenant l'oeuvre de Winifred en tant que responsable du festival de Bayreuth, les choses me paraissent tout à fait claires. On lui a souvent reproché d'avoir fait du festival, en quelque sorte,  une "vitrine" du troisième Reich; j'ai montré plus haut ce qu'il faut en penser: à l'extérieur, le régime et son chef sont certes salués et acclamés: drapeaux, emblèmes, manifestations de foule... Mais à l'intérieur toute propagande politique est proscrite et Wagner seul est le roi.
Pendant les 15 années où Winifred Wagner a eu la charge de la direction du théâtre elle a su maintenir un très haut niveau de qualité dans les spectacles; loin de tout conservatisme rigide, elle a par ailleurs favorisé des évolutions novatrices dans la mise en scène et les décors.
Mais, plus encore, elle a pu maintenir l'indépendance du festival face aux autorités de tutelle qui menaçaient son indépendance.
Je veux souligner enfin ce qui pourra apparaître à certains comme un paradoxe: c'est précisément l'amitié intime qu'elle a eu avec Adolf Hitler qui a permis tout cela. S'il n'y avait pas eu cette relation privilégiée, on peut penser avec vraisemblance qu'elle aurait été sous la tutelle de Goebbels et même qu'on l'aurait évincée de son poste pour mettre à sa place un directeur qui soit davantage docile aux injonctions du régime. Méditons bien tout cela avant de porter un jugement définitif à son égard.

Pour conclure, je ne peux mieux faire que de reproduire ci-après les deux textes d'éloge prononcés en 1980 aux funérailles de Winifred: celui du maire de Bayreuth Hans Walter Wild et celui d'Ewald Hilger, président de la société des amis de Bayreuth. Il y a là tout ce qu'il faut pour que chacun se fasse une opinion bien fondée sur la dame de Bayreuth.

 

 

   

                                               HANS WALTER WILD

 

   

 

 

    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                           Ewald Hilger